Confinées jusqu'à présent dans les limbes de l'imagination et de l'import, les Valkyries de tri-Ace daignent enfin poser les yeux sur notre minuscule hexagone, y apercevant sans doute une mince lueur d'espoir en attente de l'issue funeste que leur réserve le Ragnarök. C'est ainsi que la belle Silmeria s'apprête à suivre les dignes traces de son aînée Lenneth dans ce second volet tant espéré sur PS2.
C'est vrai qu'il n'y a encore pas si longtemps, le nom de Valkyrie Profile ne pouvait que nous évoquer la promesse d'une expérience enivrante et inaccessible, la renommée de la série étant au moins aussi grande que la chance de ne jamais y avoir droit en Europe. Et pourtant, avec l'arrivée du remake de Valkyrie Profile sur PSP, les portes du Valhalla se sont ouvertes avec fracas pour nous inviter à franchir le pas et basculer enfin dans un univers de mythologie et de beauté, mais aussi d'illusions puisque Silmeria ne réussit finalement que partiellement à perpétuer la légende de sa frangine Lenneth. Il est vrai que ce n'est certainement pas facile d'égaler en émotion un titre tel que Valkyrie Profile premier du nom, c'est pourquoi on pardonnera tout de même à cette suite ses quelques errances, même si on ne peut s'empêcher de penser qu'il aurait suffi de conserver quelques éléments primordiaux du premier volet pour préserver l'aura caractéristique de l'oeuvre de tri-Ace.
Ce qui ternit l'éclat de Silmeria, c'est avant tout la disparition de certaines composantes narratives essentielles à la mise en place de cet univers empreint de mythes nordiques. L'abandon de ces fameuses séquences dédiées à l'analyse du passé des Einherjars, ces héros choisis par les Valkyries pour assurer la défense du royaume d'Odin, porte un coup terrible à cette pauvre Silmeria qui ne méritait pas un tel châtiment. A croire que les développeurs ont réussi à oublier que toute l'immersion et la richesse scénaristique de Lenneth résidaient bel et bien dans ce traitement audacieux du background des personnages auxquels on nous force à nous attacher pour mieux nous en séparer par la suite. Dans Silmeria, le recrutement des Einherjars n'est plus qu'une formalité qui implique simplement la matérialisation de ces héros déchus à partir d'une arme plantée dans le sol et trouvée au hasard d'un donjon. Leur rencontre survient donc aussi peu élégamment que l'ouverture d'un coffre piégé et ne génère guère plus d'émotion. Et si vous ne prenez pas la peine de fouiller dans le sous-écran pour découvrir les bribes de leur histoire et savoir à quoi ils ressemblent, vous finirez même par oublier complètement quels sont les membres de votre vaste clan.
Car même si l'enrôlement de ces braves guerriers est un passage obligé de la saga, son exploitation se traduit finalement assez mal dans Silmeria où l'on peut difficilement se permettre de modifier son groupe entre chaque donjon. Outre le problème de la répartition de l'expérience, c'est surtout le système d'apprentissage des compétences qui deviendrait totalement ingérable si l'on voulait mettre tous ses personnages à niveau. Concrètement, cet apprentissage passe par un damier propre à chaque protagoniste, sur lequel on va placer des runes relatives à chaque pièce d'équipement portée. Toute la complexité du système réside dans le fait qu'il faut s'arranger pour faire ressortir un maximum de runes dont la combinaison va permettre au héros d'apprendre une compétence précise, ce qui est certes intéressant mais finit par alourdir un peu trop l'apprentissage de techniques pourtant essentielles au bon déroulement de la progression. Autrement dit, plus question de s'équiper uniquement en fonction des statistiques de telle ou telle armure, mieux vaut perdre en efficacité et se donner l'opportunité d'assimiler une compétence passive qui vous sauvera la mise bien plus souvent par la suite.
Le deuxième aspect délicat de Silmeria se rapporte au rôle des orbes présents dans la plupart des donjons. Techniquement, lorsque vous en trouvez un posé dans une coque, vous pouvez le prendre avec vous pour bénéficier de ses effets (gain de force, poison automatique contre les ennemis, etc), et le transporter jusqu'à un autre emplacement afin d'en affecter toute une zone. Mieux encore, si vous vous placez devant une source, il vous suffit de débourser quelques cristaux pour restaurer l'orbe, ce qui signifie que vous pourrez alors réutiliser cet orbe par la suite dans n'importe quel autre donjon du jeu. Autant dire que la notion d'emplacement et la gestion subtile des effets des orbes rendent la progression extrêmement intéressante, même si le jeu n'en devient que plus complexe et difficile à apprivoiser. Car ce qui surprend le plus dans Silmeria, même pour les habitués du premier volet, c'est que le soft nous donne l'impression d'avoir été conçu pour nous en faire baver, ce qui se fait bien souvent au détriment du plaisir de jeu.
C'est peut-être un constat un peu dur, mais il faut bien reconnaître que cette suite ne se laisse apprécier qu'au prix de nombreux efforts, et n'est donc pas à conseiller aux joueurs débutant dans le domaine du RPG. A titre d'exemple, on se souvient que les coffres les mieux cachés dans le premier volet nous obligeaient à empiler des cristaux au pixel près, suivant une méthode qui était souvent loin d'être facile à trouver. Dans Silmeria, ce sont presque tous les coffres qui deviennent inaccessibles, à moins de s'arracher les cheveux en essayant de comprendre quel angle trouver pour faire ricocher le jet de photon sans se louper d'un ou deux degrés. L'empilement des cristaux est d'ailleurs toujours de mise, mais ils ne peuvent maintenant se former qu'à partir des ennemis, ce qui vous oblige à les battre avant d'espérer pouvoir vous servir d'eux comme marchepied. Ces casse-têtes font aussi intervenir allègrement le fait qu'on peut se téléporter en envoyant un photon sur un ennemi déjà figé par le cristal, ce qui donne lieu à une prise de tête permanente dont la plupart des joueurs se seraient bien passés.
Car l'exploration des donjons est loin d'être une promenade de santé, ne serait-ce que parce que les monstres qui les gardent ont tout sauf envie de vous faciliter la tâche en s'inclinant devant vous. Certes, on peut parfois les contourner en les gelant, sauf dans les zones de vide divin, mais quel intérêt de jouer si ce n'est pour profiter de l'excellence du système de combat de Silmeria ? Là encore, l'idée mise en place par les concepteurs est excellente, mais elle ne se maîtrise qu'avec une pratique acharnée et ne pardonne pas la moindre défaillance. Première nouveauté, les affrontements se déroulent maintenant dans des environnements 3D dans lesquels on peut se déplacer librement. La vue ne passe sur un seul plan que lorsque vous vous préparez à lâcher vos coups sur un monstre, et inversement. La manoeuvre la plus délicate est donc de réussir à se déplacer sur le terrain sans tomber dans le champ d'action d'un ennemi, et bien sûr les décors regorgent d'obstacles pour vous coincer.
Malgré tout, l'idée vraiment fantastique de ce système est de pouvoir se servir du dash (une accélération qui coûte des points d'action) pour se faufiler jusqu'au leader adverse dans le but de l'anéantir en premier pour mettre fin au combat rapidement. Si vous parvenez à placer une attaque éclair, l'affrontement peut même se terminer en une poignée de secondes, vous donnant droit à un maximum de points d'expérience. En gardant à l'esprit que les ennemis ne bougent qu'en même temps que vous et en paramétrant intelligemment les armes et les techniques de chaque membre de l'équipe, on peut prendre un plaisir énorme à batailler dans des conditions qui changent à chaque nouvelle altercation. Comme dans le premier volet, il est toujours possible d'utiliser les magies en ouvrant le sous-menu, mais on dispose cette fois de bien plus de prise sur la gestion de la barre d'AP (points d'action). Quant aux règlements de comptes proprement dits, il sont toujours aussi énergiques et fonctionnent évidemment sur la notion de timing entre les attaques de chaque personnage. Rebutant durant les premières heures de jeu, le système de combat de Silmeria se révèle donc vite comme étant l'argument le plus efficace de ce titre et vous récompensera largement de votre persévérance.
Avec Silmeria, il faut tout de même dire adieu à la notion de périodes au terme desquelles il fallait se séparer de ses plus précieux guerriers. Freya n'est plus là pour nous superviser, et l'aventure prend des airs de simple voyage d'errance entre compagnons de route. La teneur un peu légère du scénario a donc de quoi décevoir les habitués de la série, même si les choses s'arrangent une fois passés les premiers chapitres, et la rencontre avec des figures emblématiques comme Arngrim ou Lezard Valeth permet de garder intact le lien narratif entre les deux opus. Bien que cet épisode se situe chronologiquement avant Lenneth, on a vraiment le sentiment que le jeu a été conçu pour les adeptes du premier volet, il est donc préférable de l'avoir terminé avant d'attaquer celui-ci. Ce que Silmeria perd en émotion, elle le gagne en efficacité visuelle au moyen de décors splendides qui nous donnent l'impression de voir s'animer de véritables peintures de maître. Les paysages sont un enchantement de tous les instants, et le mode de déplacement original dans les villages a été conservé et enrichi de manière à restituer cet esprit 2D auquel sont attachés les nostalgiques. Les textes sont intégralement traduits en français et les musiques de Sakuraba nous replongent en un instant dans l'univers torturé de Valkyrie Profile dont la trame repose désormais sur la réincarnation de Silmeria dans le corps de l'innocente Alicia. Inutile d'en dire plus, je pense que vous aurez compris que Valkyrie Profile Silmeria souffre un peu du prestige de son lignage, mais qu'il renferme suffisamment de richesses pour ne pas décevoir les fans du premier volet, à condition qu'ils s'y investissent corps et âme s'ils veulent avoir une chance de l'apprivoiser.
Les notes
Graphismes18/20
Voilà un point sur lequel Silmeria surclasse habilement son aîné, un exploit quand on connaît la performance visuelle réalisée par Lenneth, aussi bien sur PSOne que sur PSP. Le rendu obtenu conserve l'effet 2D original, mais y ajoute une profondeur basée sur un système de rotation des arrière-plans, pour un résultat exceptionnellement beau.
Jouabilité16/20
S'il paraît à première vue moins au point que celui du premier Valkyrie Profile, le système de combat de Silmeria s'avère en réalité fantastique à tous les niveaux. La maîtrise des nombreuses subtilités dans la gestion des attaques et des déplacements prend du temps, mais vos efforts seront récompensés par la découverte d'un système beaucoup moins répétitif que celui de Lenneth. L'utilisation des orbes dans les donjons est aussi très pertinente mais parfois éprouvante durant l'exploration des donjons, surtout si on y ajoute la gestion des tirs de photon.
Durée de vie16/20
Le contenu devrait vous tenir en haleine durant plus d'une cinquantaine d'heures, même en ligne droite, car l'apprentissage des compétences demande du temps et la difficulté globale ne permet pas de tracer en ligne droite sans maîtriser parfaitement tous les aspects du gameplay.
Bande son16/20
On reconnaît facilement le style de Motoi Sakuraba qui se prête aussi bien à des jeux comme Baten Kaitos que Valkyrie Profile. L'impression de déjà-vu disparaît devant la qualité des musiques composant l'OST du jeu. Les textes sont traduits mais les voix sont en anglais.
Scénario15/20
On ne pardonnera jamais à tri-Ace d'avoir laissé tomber tout ce qui faisait l'émotion du premier volet. Plus question de s'attarder sur l'histoire des Einherjars qui se retrouvent totalement dépourvus de personnalité, au détriment de l'efficacité du scénario et de l'immersion dans l'univers du jeu. Par ailleurs, il faut attendre plus de 25 heures avant que le périple entre compagnons de route ne prenne vraiment des allures de quête.
En voulant prendre le risque de refaçonner une bonne partie du système de jeu mis en place dans le premier Valkyrie Profile, cette suite n'était pas assurée de faire aussi bien que son modèle qui compte tout de même parmi les RPG les plus prestigieux de tous les temps. On lui reprochera avant tout son orientation scénaristique beaucoup moins épique que celle de son aîné, et le rôle carrément amoindri des Einherjars qui n'ont plus aucune personnalité. On lui en voudra aussi pour sa terrible complexité et sa difficulté permanente qui dissimulent pourtant une richesse de gameplay incroyable, mais que seuls les plus persévérants auront le bonheur de savourer à sa juste valeur. Pour toutes ces raisons, Silmeria est un titre marquant mais sans doute pas autant que le valeureux Lenneth qui gardera une place toute particulière dans le coeur des fans de RPG.
Note de la rédaction
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